La loi du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée a été promulguée le 3 février 2023 par le Président de la République.
Ce texte a pour mission de « protéger nos espaces naturels pour mettre fin à des pratiques d’engrillagement et de chasses artificialisées néfastes », selon le rapporteur de la proposition de loi au Sénat, qui rappelle qu’il existe, rien qu’en Sologne, entre 3.000 et 4.000 kilomètres de grillage.
La limitation en pratique
C’est l’article 1er de cette loi qui fixe les mesures qui devront être appliquées par tout propriétaire d’enclos de chasse, avant le 1er janvier 2027.
La « mise en conformité » consiste au remplacement des clôtures existantes par de nouvelles clôtures qui devront être posées « 30 centimètres au-dessus de la surface du sol et leur hauteur, limitée à 1,20 mètres ». Ces nouvelles clôtures doivent permettre, selon le législateur, la libre circulation des animaux sauvages.
Il est néanmoins prévu, aux termes de cet article 1er, plusieurs exceptions à la mise en conformité, pour :
- Les clôtures des parcs d’entraînement, de concours ou d’épreuves de chiens de chasse ;
- Les clôtures des élevages équins ;
- Les clôtures érigées dans un cadre scientifique ;
- Les clôtures revêtant un caractère historique et patrimonial ;
- Les domaines nationaux définis à l’article L. 621-34 du code du patrimoine ;
- Les clôtures posées autour des parcelles sur lesquelles est exercée une activité agricole définie à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime ;
- Les clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières ;
- Les clôtures posées autour des jardins ouverts au public ;
- Les clôtures nécessaires à la défense nationale, à la sécurité publique ou à tout autre intérêt public ;
- Les clôtures réalisées plus de trente ans avant la publication au Journal Officiel de la loi du 2 février 2023 ;
- Les clôtures érigées à moins de 150 mètres d’une habitation ou siège d’exploitation d’activités agricoles ou forestières situées en milieu naturel.
L’application de la loi dans le temps
La particularité de cette loi est, sans nul doute, liée à son application rétroactive. Autrement dit, la loi du 2 février 2023 s’applique même pour les clôtures qui sont déjà élevées et qui ont moins de trente ans. Les propriétaires d’enclos devront donc mettre leur clôture existante en conformité avec l’article 1er précité. La rétroactivité de cette loi n’est pas sans poser de graves difficultés d’ordre juridique et constitutionnelle.
En effet, rappelons que, par principe, une loi ne peut disposer que pour l’avenir ;
L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen de 1789 est sans ambiguïté sur la non-rétroactivité de la loi pénale : nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée. Ce principe, inscrit dans notre Constitution, est une garantie pour tout justiciable.
Mais, si le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale est inscrit au sein de notre Constitution, il n’en est rien de la non-rétroactivité de la loi civile. Bien sûr, l’article 2 du Code civil énonce que « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » ; Mais, la formule n’est pas constitutionnalisée et, ce que la Loi a fait, la Loi peut le défaire. Heureusement, le Conseil constitutionnel a « encadré » cette pratique législative en imposant, au fil de ses contrôles, plusieurs conditions visant à limiter les lois rétroactives. Le caractère rétroactif de la loi peut être admis (s’il est prévu par le texte), s’il ne porte pas atteinte aux principes fondamentaux et à valeur constitutionnelle et qu’il existe un motif impérieux d’intérêt général.
Le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi, pour l’instant, d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) ; tout justiciable, au cours d’un procès, et aux termes d’une procédure adéquate, peut déposer une QPC à l’égard d’une disposition législative qu’il juge contraire au bloc de constitutionnalité.
Nul doute que des QPC seront inscrites et que le Conseil constitutionnel aura notamment la charge de vérifier la constitutionnalité de la rétroactivité applicable aux termes de cette loi.
Car, rappelons notamment que la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux avait grandement favorisé l’émergence d’enclos de chasse, ceux-ci avaient été dispensés de plan de chasse et de la participation au paiement des dégâts de gibier ;
La loi du 23 février 2005 était donc particulièrement bénéfique et avantageuse pour les enclos de chasse. Le retour à un régime antérieur à celui de 2005, bien plus restrictif, n’est pas sans poser de question juridique sur la rétroactivité d’une loi plus sévère.
Une limitation contraire au droit fondamental de propriété ?
D’aucun verrait dans la rétroactivité de cette loi une atteinte excessive au droit fondamental d’acquérir et de jouir pleinement de sa propriété privée. Le droit de clore son fonds est un principe législatif essentiel de la propriété privée, il en est le fondement et le corollaire indispensable. Rousseau lui-même n’hésitait pas à affirmer que « le premier qui, ayant un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples le croire, fut le vrai fondateur de la société civile » (De l’inégalité parmi les hommes).
Plus prosaïquement, le Code civil, en son article 647, permet à tout propriétaire de clore son héritage (sauf exception concernant les servitudes).
Rappelons que le droit de clore son héritage est un acquis de la Révolution, mettant fin au privilège de la chasse aux seuls bénéfices des seigneurs pouvant chasser sur toutes terres, en vertu des ordonnances de 1396 de Charles VI ou celle de mars 1515 de François Ier.
Là-encore, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, ne manquerait pas ainsi de contrôler la constitutionnalité de cette loi par rapport au droit fondamental de la propriété privée et de déterminer s’il existe une atteinte à ce droit ou si, au contraire, l’atteinte supposée est justifiée par un motif impérieux d’intérêt général.
Sur ce dernier point, le motif impérieux d’intérêt général, permettant notamment une rétroactivité de la loi, doit être particulièrement motivé.
Dans le cas de cette loi, si l’on comprend les besoins de la préservation de la nature, des paysages et de la biodiversité, il ressort des travaux préparatoires législatifs que la loi vise également à « mettre en échec le développement du tourisme rural » ou encore « arrêter la perte de savoir-vivre ensemble »… Des notions pour le moins floues qui feront, selon toute vraisemblance, débat devant les juridictions saisies !
Et maintenant ?
La loi étant promulguée, elle se trouve pleinement applicable. Il n’a pas été annoncé, pour le moment, de décrets d’application. Néanmoins, compte tenu de la complexité des mesures annoncées, il est probable que de tels décrets soient pris par le Gouvernement en vue de préciser les modalités d’application. Aussi, tout propriétaire de parc de chasse avec des clôtures ne correspondant pas aux critères émis par la loi du 2 février 2023 doit se mettre en conformité avant le 1er janvier 2027.
A cet effet, deux éléments inquiétants subsistent :
- L’article 3 de la loi prescrit que toute modification des clôtures doit être procédée « dans des conditions qui ne portent atteinte ni à l’état sanitaire, ni aux équilibres écologiques, ni aux activités agricoles du territoire ».
Il indique également qu’en cas d’atteinte résultant de l’effacement des clôtures, il est nécessaire d’en informer l’administration qui doit, dans tous les cas, être informée préalablement de l’effacement ou modification des clôtures. Aussi, quand bien même un arrêté ministériel doit être pris pour déterminer les modalités de déclaration préalable, il subsiste, là-encore, un flou important sur la responsabilité que fait peser l’effacement ou la modification des clôtures sur le propriétaire.
En d’autres termes, en cas d’atteinte aux intérêts susmentionnées, qui sera responsable ? L’Etat du fait de la loi prescrivant une obligation ou le propriétaire qui a opéré les modifications ou effacement des clôtures ?
N’aurait-il pas été plus sage d’émettre, au sein de la loi, une exception à la mise en conformité ou effacement des clôtures dans les cas où les atteintes aux intérêts précités seraient trop importantes ? Ou laisser le soin à l’autorité préfectorale locale de contrôler l’intensité de l’atteinte et de déterminer s’il convient ou non de mettre les clôtures en conformité ?
Nous pensons notamment aux dégâts aux cultures qui ne manqueront pas d’être démultipliés en cas d’effacement de clôture d’un enclos contenant un nombre important d’individus ; mais également à la présence d’espèces non-indigènes, tel que le cerf Sika, présents en nombre dans les enclos, qui, en s’accouplant avec le cerf élaphe, entraîne des dégénérations – il est d’ailleurs de plus en plus fréquent que des battues administratives soient ordonnées par l’autorité préfectorale à l’égard des cerfs Sika…
Le manque de nuance dans l’écriture de cette loi trop générale, et l’absence d’explications dans les modalités concrètes d’application ne manquent pas d’entacher le but vertueux de ce texte qui, s’il est appliqué à la lettre, risque d’entraîner des conséquences davantage néfastes pour la biodiversité, engendrant de fait de multiples contentieux.
- En l’absence de saisine a priori du Conseil constitutionnel et dans l’attente d’une saisine a posteriori, il n’est pas possible d’affirmer que cette loi est contraire ou non au bloc de constitutionnalité, s’agissant d’une part de sa rétroactivité et, d’autre part, de son éventuelle atteinte au droit de propriété.
L’enjeu est important car, si au fil des années, une jurisprudence constitutionnelle mentionne une atteinte aux principes garantis par la Constitution du fait de l’application de cette loi, la responsabilité de l’Etat pourrait se trouver engagée par les propriétaires lésés, obligés de reprendre des clôtures qui ont coûté fort chères.
Le Conseil d’Etat a ainsi reconnu que la responsabilité de l’Etat du fait des lois pouvait être engagée sur le fondement de l’égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l’adoption d’une loi méconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France (CE, ass., 24 décembre 2019, n° 425981, n° 425983 et n° 428162, Inédit pub. Rec. Leb.). Aussi, le gouvernement, s’il laisse la loi s’appliquer à la lettre, prend un pari risqué : celui de voir apparaître une multitude de recours indemnitaires visant la responsabilité de l’Etat du fait des lois.
En conclusion
Cette loi touche à l’ensemble des pans juridiques : elle aura, vraisemblablement, une portée constitutionnelle avec des QPC qui ne manqueront pas d’être déposées ; un volet administratif, dans la mesure où les contentieux en responsabilité risquent d’être nombreux ; un volet pénal, enfin, puisque le texte prévoit – tout de même – un nouvel article du Code pénal (Article 226-4-3), lequel prescrit (seulement !) une contravention de la 4ème classe pour quiconque pénétrerait sans autorisation dans une propriété privée rurale ou forestière, ce qui sera rendu, naturellement, possible sans les clôtures…
Quoiqu’il en soit, le Cabinet Avocats Vignet Associés, déjà saisi de plusieurs dossiers par des propriétaires de parcs de chasse, suit l’évolution de cette loi dont les contours et les enjeux restent encore à cerner…
Maître Christian VIGNET Maître Nicolas DEILLER
Avocat à la Cour Avocat à la Cour
Ancien Bâtonnier Docteur en Droit public